Facebook, finish it

Posté le ven. 03 octobre 2014 dans Société

Je complète ici le point de vue de mon ami Metalmaniac dans l'article précédent sur l'utilité de Facebook. Je commencerai par un rapide historique de mon expérience Facebook, puis j'aborderai quelques aspects de vie privée, la gestion de sa vie publique sur Facebook, le pouvoir de manipulation que détient cette entreprise, puis j'aborderai la question de la difficulté à sortir du système.

Tag sur un mur en pierre: J'ai pas attendu Facebook pour écrire sur un mur

Rapide historique

Tout d'abord, un petit historique sur mon expérience personnelle. Je me suis inscrit en 2008 sur ce site bleu et blanc et super moche. J'ai invité ma collègue de bureau de l'époque, et on a passé plusieurs jours à se "poker" chacun à notre tour, sans bien comprendre à quoi cela pouvait bien servir. Puis la mayonnaise a pris, surtout pour jouer à des jeux plus stupides les uns que les autres en essayant de battre nos records. Au fil du temps, un grand nombre de connaissances se sont ajoutées à ma liste d'amis jusqu'à atteindre un portefeuille d'environ 300 pèlerins. J'ai fermé mon compte courant 2013, lassé par le vide intellectuel des statuts repartagés 1000 fois, du regard compulsif sur son téléphone pour voir si on a récolté des like, et inquiet pour le danger qu'il représentait pour ma vie privée.

Vie privée et voyeurisme

Voyeurisme

Tout allait bien dans le meilleur des mondes sur Facebook, c'était fou de pouvoir savoir à la virgule près la vie de ses proches, ou de ses moins proches ! De connaître toutes les habitudes des autres, de voir comment se passaient leurs vacances, leur dîner. De savoir que la belle-mère d'un tel est une “grosse connasse”, et que bidule a des problèmes avec le fisc, ou encore que truc a cassé sa voiture ! On retrouvait plein de vieilles connaissances, qu'on s'empressait d'ajouter en ami, surtout si l'ami en question était une amie qui avait perdu 30 kilos depuis le collège et qui depuis, n'était plus gênée de poser en bikini au bord d'une piscine ou sur une plage de sable chaud. Ce côté voyeur, personne ne l'assume vraiment. Mais qui, lorsqu'il est invité par un profil du sexe opposé, ne s'est jamais attardé sur la photo du profil, les photos disponibles publiquement avant de définitivement accepter l'invitation ou la refuser ? Allez, avouez !

J'ai été longtemps prisonnier de ce système de "portefeuille d'amis" que l'on garde bien au chaud dans son compte. La seule idée de virer des contacts de l'application me faisait me poser plein de questions : “Si je supprime ce contact, je ne vais plus voir ses publications, ses photos, etc. tant pis, je vais le garder, même si on ne communique jamais...”. Quand je prend du recul, et que je me souviens de cette façon de faire, j'ai envie de me taper. Bon, je ne le fais pas, parce que je ne suis pas un adepte de l’auto-flagellation, mais tout de même. D'où vient ce besoin compulsif de garder sans arrêt sa petite place en sein de la vie privée des autres ? Qu'est ce que ça rapporte au final ?

Les informations diffusées auprès de ses contacts

Tout ce qu'on diffuse à destination de ses "amis" amène toujours des informations qui peuvent être plus ou moins sensibles. A commencer par le profil qui apporte énormément d'informations que l'on aurait peut-être pas choisi de divulguer à tous ses contacts, amis, connaissances, ou collègues en temps normal. La liste des j'aime  est une mine d'information également pour cerner quelqu'un, connaître ses goûts, ses opinions. Et pour finir une suite de statuts sur un mur révèlent bien souvent le caractère, les opinions politiques, religieuses, etc. Tout n'est pas toujours bon à dire à tout le monde...

Tout ce qu'on donne à une entreprise qu'on ne connaît pas

Toutes ces informations que l'on choisit de donner à nos contacts, on les donne implicitement à Facebook, une entreprise basée aux États-Unis, encadrée par des lois qui ne sont pas les notres et dont les pratiques ne nous sont pas clairement exposées. Elle compile toutes ces données, en devient propriétaire, s'en sert comme elle le souhaite, les vend, nous profile à des fins commerciales. Edward Snowden a d'ailleurs contribué à démontrer à travers ses révélations que tout cela servait également à un espionnage massif des populations. Et on a beau crier haut et fort qu'on ne veut pas que nos données personnelles soient utilisées sans notre accord, rien n'y fait, on a signé des conditions en entrant chez eux, les fameuses CGU (Conditions Générales d'Utilisation) https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-facebook/20140924.RUE5890/tu-t-es-vu-quand-t-as-signe-les-conditions-generales-d-utilisation-de-facebook.html

On a toujours quelque chose à cacher, tout du moins des choses que l'on garde seulement pour son cercle intime, je vous renvoie à cette petite conférence de 20 minutes de Lorraine Data Network (association pour la défense d'un internet libre, neutre et décentralisé, également fournisseur d'accès à internet). https://ldn-fai.net/je-nai-rien-a-cacher/

Vie publique

J'ai un problème actuellement dont j'ai du mal à me dépêtrer. Mon groupe de rock fonctionne plutôt pas mal, en tout cas au niveau local. On fait un concert par mois, et en général, ça se passe bien, les gens sont contents. Du coup, le premier truc qu'ils font lorsqu'ils rentrent chez eux, c'est sortir les photos de leur portable, les publier et taguer la page du groupe ce qui est, je le concède, très sympa de leur part. Les photographes font bien souvent de même, il prennent plein de photos, créent un album sur leur profil, puis partagent l'album avec le groupe Facebook. Encore une fois, c'est sympa. Mais moi, je n'ai plus de compte personnel, je n'ai donc plus rien à dire dans le processus, ni en bien, ni en mal. je n'ai pas le droit d’administrer la page publique, je ne peux pas retirer un contenu inapproprié ou dégradant, parfois même les albums ne sont pas partagés en mode public et je ne peux pas voir des photos qui me concernent directement. Je ne peux pas dire merci aux organisateurs d'un festival, merci aux photographes, merci à quelqu'un qui a aimé ce qu'on a fait... Je ne peux que demander à un de mes collègues de répondre à ma place si j'ai quelque chose à dire.

Vous allez me dire : “ben crée un compte bidon et sers t'en pour administrer ta page !” Figurez-vous que j'y ai pensé mais ça ne me plaît absolument pas. Le compte bidon n'empêchera pas les cookies de suivre ma navigation, de collecter mes informations privées à outrance et de relier facilement mon identité à ce compte. Je ne veux pas d'une page privée pour administrer une page publique. Je n'ai pas supprimé mon compte pour en créer un autre et retomber une fois de plus dans les mêmes travers et donc renier en quelques instants toute ma réflexion sur le sujet. Je ne veux plus avoir accès à une page privée même si je ne mets rien dedans.

Ce qui me gêne, c'est que absolument toute la communication de mon groupe (et c'est vrai pour beaucoup d'autres groupes) passe par cette entreprise. L'argument principal avancé, c'est “Mais tout le monde est sur Facebook. Comment veux-tu qu'on soit visible sans eux ?” Quelle obligation a-t-on de faire absolument comme tout le monde ? Facebook est-elle absolument la seule entité capable de nous donner de la visibilité, de la légitimité, de prouver même qu'on existe ? Oui, tant qu'on continuera à penser de cette façon ! Et puis, du coup, pourquoi ne pas sortir des sentiers battus ? C'est peut-être ici qu'il faut chercher l'originalité et marquer ses engagements. On chante des brûlots rocks anticapitalistes et on continue d'alimenter le système sans se poser de questions.

Celui qui décidait de ton humeur de la journée, une expérience bien inquiétante

La petite révélation de fin juin sur l'expérience secrète menée par Facebook sur environ 700000 personnes du 11 au 18 janvier 2012 est quand même quelque chose d'assez effarant. Pour rappel, l'expérience consistait à moduler le flux d'activité du mur des utilisateurs pour tantôt ne leur faire voir que des statuts positifs, tantôt que des négatifs, et vérifier si cela avait une influence sur leur humeur d'après les statuts qu'ils posteraient ensuite. Il ne m'appartient pas de commenter le résultat de l'expérience, et à la limite, je m'en fous, ce n'est pas tellement important.

Mais ce qui me choque, c'est que la plupart des personnes avec qui j'ai parlé de cette expérience , et la plupart des billets que j'ai vus à ce sujet, étaient systématiquement focalisés sur le fait que l'étude avait été menée sur le dos de pauvres utilisateurs abusés, sans leur consentement. Et on a cherché des réponses seulement sur cette problématique. Mais, franchement, est ce que le fait que Facebook avait démontré par A+B que c'est lui qui décidait de ce qu'on voyait, qu'il était capable de manipuler absolument tous ses utilisateurs, de donner une orientation particulière à ce que leur mur affiche, n'était pas plus grave que tout le reste ? Comment se fait-il que la vague d'indignation ne portait que sur des conditions d'utilisation de leurs données (quasiment toutes acceptées sans broncher par la plupart des utilisateurs) plutôt que sur ce que venait de démontrer cette expérience à propos du pouvoir qu'avait cette firme sur des millions de personnes ?

Sortir du système

Dé-socialisation ?

Comme tout changement, pour se retirer du système, il faut savoir se faire un peu violence. Lorsque l'on quitte Facebook, on perd des contacts, on perd l'accès à des milliers de contenus que des utilisateurs ont légué à leur cher Marc Zuckerberg. Sortir de Facebook, c'est se priver de voir les albums photos des soirées chez les copains, c'est se priver des conneries qu'on se partage et re-partage sans réfléchir (ça c'est pas une perte). Et vu sous cet angle, on a la sensation de s'enfermer soi même, de se fermer au progrès. Hors c'est parfaitement le contraire, tout partager via Facebook, c'est soi même s'enfermer, et enfermer ses amis et sa famille avec. C'est cloisonner sa vie et se fermer à tous ceux qui ont fait le choix simple de ne pas enrichir une société américaine avec leurs données privées.

On me traite de parano sans arrêt et on se fout de moi systématiquement lorsque je prône la déconnexion de ce truc. On me dit qu'il faut vivre avec son temps, et c'est limite si on ne me traite pas d'illuminé qui doit retourner dans sa secte. Ce n'est pas moi qui suis sectaire, ce sont tous les utilisateurs qui ne m'accordent le droit d'interagir avec eux que si je souscris moi aussi aux conditions de cette seule entreprise. Je ne refuserai jamais à un pote de venir me voir ou me parler sous prétexte qu'il n'a pas acheté le dernier Motorola (oui, Motorola, petit internaute, Samsung, c'est caca) !! Le parallèle est plus facile à comprendre avec les mails : un mail envoyé par machintruc@bidule.com peut être reçu par toto@toutouille.fr . Vous vous rendez compte si cela n'était pas possible ? S'il fallait que tout le monde possède une adresse sur le même serveur mail ?

Donc, est-ce que je me désocialise en fermant Facebook ? Sûrement pas non, j'ouvre ma porte à qui veut bien la pousser, sans restriction et sans ségrégation,

Des alternatives

La majorité des utilisateurs ne se rend pas compte que le jour où Facebook décide de couper les ponts, ils n'ont plus rien, plus de contacts, plus leurs photos, vidéos ! Cet aspect s'applique également parfaitement à Google et sa pléiade de services interconnectés, puisqu'au final Google, c'est le même combat !

Les outils technologiques nous permettent aujourd'hui de faire des choses que nous  ne pouvions pas faire aussi facilement il y a 15 ans. Nous avons la possibilité de parler à la terre entière simplement, et nous choisissons de ne parler qu'aux clients Facebook, c'est pas un peu dingue ? Tenir un blog comme celui-ci il y a 15 ans, avec toute la gestion des sécurités, des utilisateurs, etc. relevaient d'un peu de maîtrise en info. Les débits étaient réduits et les prix de connexion un peu plus chers. Auto-héberger un site, un blog, un "claaoooowwwd" n'était pas aussi évident. Aujourd'hui, même si ce n'est pas forcément à la portée de monsieur ou madame Tout-le-monde, il est facile de trouver un  informaticien honnête, de confiance autour de soi pour aider à fabriquer son petit bout de l'internet, sans publicité, sans payer une fortune en matériel et en s'assurant que ses données sont protégées. Elles sont surtout accessibles à tous ceux à qui on veut bien les donner sans qu'ils aient besoin de souscrire à quoi que ce soit.

Conclusion

J'en arrive encore une fois à la même conclusion geek mais néanmoins parfaitement logique : La seule bonne solution est la décentralisation ! Décentraliser chez soi ou chez une personne de confiance, faire ses propres sauvegardes, garder au maximum ses affaires à la maison !!! Les photos, c'est chez soi, les vidéos, c'est chez soi, les mails, ça devrait l'être aussi ! Internet est un ensemble de réseaux interconnectés, pas besoin d'un intermédiaire sur lequel s'appuyer pour parler au monde entier. Et on garde de cette manière un contrôle total de ses données, on garde sa vie privée privée, on gère sa vie publique bien plus finement et on évite les risques de manipulation.

En tout cas, je continuerai à être chiant avec mes proches, à leur répéter de tester d'autres façons de faire, à sans cesse leur faire se poser des questions pour que la petite graine finisse par germer.

De mon côté, je suis heureux d'avoir supprimé mon compte depuis un peu plus d'un an. Il me reste encore à lâcher mon compte Google, mais je suis sur la bonne voie de ce côté là, j'ai déjà engagé très fortement le processus.

La bise !

François